domenica 11 novembre 2012

«Les archives de Foucault ont une histoire politique» @ Le Nouvel Observateur, 8 Novembre 2012

«Les archives de Foucault ont une histoire politique»

Créé le 06-11-2012 à 10h51 - Mis à jour le 08-11-2012 à 16h51

EXCLUSIF. Compagnon et légataire de Michel Foucault, Daniel Defert s'exprime pour la première fois sur les archives qu'il s'apprête à vendre à la Bibliothèque nationale de France (voir l'enquête publiée dans «le Nouvel Observateur» du 8 novembre). Verbatim.

MICHEL FOUCAULT (1926-1984). (©Ozkok-Sipa)
MICHEL FOUCAULT (1926-1984). (©Ozkok-Sipa)

Une histoire politique

«L'histoire de ces archives n'aurait pas été la même si nous avions été pacsés ou mariés. J'en aurais hérité tout naturellement, sans avoir ces droits à payer. Il faut se remettre dans l'époque où cette succession a lieu: le début des années 80 et de l'épidémie du sida. Des gens meurent, laissant des compagnons endeuillés et dépossédés parfois par les familles ‘‘légitimes’’. Dans le cadre de Aides, j'ai vu énormément d'hommes expulsés d'appartements où ils avaient vécu avec leurs compagnons. C'était tragique.
Michel Foucault en stipulant qu'il me léguait l'appartement de la rue de Vaugirard et tout ce qu'il contenait m'a protégé de ce point de vue là.
Et je dois dire que sa famille a parfaitement respecté ses volontés. Je suis un grand lecteur de Balzac, pour qui la propriété se constituait par le code civil, et c'est cela qui a changé même si mon avocat, Jean-Denis Bredin, me disait ‘‘Ce n'est pas une épidémie qui va faire changer les choses’’. Il avait tort, nous nous sommes battus avec les associations et aujourd'hui nous arrivons à l'égalité des droits.»

L’enjeu

«Pour moi, l’enjeu est le respect de Michel Foucault et un enjeu politique. Il y eut deux choses: l’indifférence avec lequel il a été traité en France pendant quelques années et les difficultés des couples homosexuels avant le Pacs. En 1984, à sa mort, Michel Foucault m'a légué son appartement de la rue de Vaugirard et tout ce qui s'y trouvait. J'ai dû faire évaluer ce bien pour déterminer combien je devais payer d'impôts. A l'époque, les couples homosexuels n'avaient aucune sorte de droits, je devais comme tout étranger payer 65% de droits de succession, 60% sur l'appartement et 5% forfaitairement sur le contenu. Une dame est venue faire l’expertise. Elle regardait les livres dans la bibliothèque et tout ce qui n’avait pas de dédicace lui semblait sans valeur. Je me souviens qu’elle a pris un livre et dit: ‘‘Ce Barthèze (Barthes) est inconnu, aucune valeur’’.
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DANIEL DEFERT en 1989. Militant anti-sida, il a créé AIDES, la première association française de lutte contre le sida après la mort de son compagnon, le philosophe Michel Foucault, dont il est également le légataire. (©Florence Durand - Sipa)
En 1984, je suis allé au cabinet d’Henri Emmanuelli, au Budget, le ministère était encore au Louvre. Je voulais proposer une dation du montant de mon rappel fiscal. J’ai été reçu par deux conseillers dans le couloir, on ne m’a pas fait asseoir. Tout ce qu’ils voulaient savoir c’est si, comme dans le cas d’Aragon dont ils venaient de s’occuper, il y avait des correspondances avec des artistes, des tableaux, le reste ils s’en fichaient.
Michel avait, avec Pierre Bourdieu, lancé un manifeste protestant contre les déclarations de Claude Cheysson, ministre des Affaires étrangères, selon lesquelles l'instauration d'un état de guerre et la répression visant Solidarnosc était ‘‘une affaire intérieure’’ à la Pologne. Se souvenaient-ils de cela quand je suis venu les voir avec mon dossier? Ils n'ont rien fait. Je me suis dit: ‘‘On règlera ça un jour, et pas dans la paix’’. Il n’y a pas de guerre avec la famille Foucault mais avec l’Etat français qui a montré son désintérêt à un moment compliqué de deuil pour moi.
Ce n'est que plus tard que Jacques Toubon, ministre de la Culture d'Edouard Balladur, a trouvé un arrangement pour le rappel fiscal que j’ai eu trois ans après, et que j'ai cédé des premières archives à la BN. C'est seulement depuis le quinquennat de Sarkozy que les droits de succession des couples pacsés ont été alignés sur les couples mariés.»

Vivre avec les archives

«J'ai beaucoup hésité à revenir rue de Vaugirard. J'y avais déjà vécu, j’habitais un appartement proche que j’ai dû vendre. Avec beaucoup d'hésitations, j'ai décidé de me réinstaller chez lui, dans cet appartement qu'il m'avait légué, pour préserver la bibliothèque et ses archives. Les experts que j’avais consultés me demandaient des manuscrits en paiement. J’ai toujours refusé. Il m'a fallu les sécuriser.
Très tôt, j’ai su que Pierre Nora s’inquiétait du fait que quelques amis avaient la clé de l’appartement. J’ai demandé à ma banque un coffre. Au début de juillet 1984, je m’apprêtais à partir à l’Ile d’Elbe chez Hervé Guibert lorsque je reçois un coup de fil de ma banquière: ‘‘Je vois tous les charcutiers du quartier venir déposer les bijoux de leur femme, je vous ai senti paniqué: venez, je vous ai réservé deux coffres.’’ Quelques heures après, j’étais dans l’avion pour l’Ile d’Elbe. Les archives n’en ont pas bougé depuis.»

Qui les a vues?

«J'ai déposé un certain nombre de choses à l'IMEC, même la correspondance universitaire. Cela, c'était pour qu'on rigole un peu: on voit bien que quand les Français écrivent à Foucault, c'est pour lui demander une préface, alors que quand les Américains lui écrivent, c'est pour l'inviter à des colloques autour de ses livres! Pour le reste, j'ai un principe: je ne réponds qu’aux questions qu’on me pose. J’ai tout de suite couché sur testament, dès après la mort de Michel Foucault, la destination de tout. Ceux qui avaient besoin des documents préparatoires des cours quand nous avons décidé de les éditer les ont eus.
Au début, il y avait cette injonction, ‘‘pas de publication posthume’’. J'ai parlé avec Georges Dumézil, un des amis et maîtres de Foucault. Il m'a dit: ‘‘Pourquoi un thésard pourrait voir ce à quoi les autres n'ont pas accès?’’ C'était simple: tout le monde ou personne. Pendant longtemps ce fut personne. Puis nous avons commencé à transgresser lorsque nous avons publié les cours. Notamment celui dont je me suis chargé, son premier cours de 1970 dont nous n'avions pas de trace audio: pour le publier, je me suis appuyé uniquement sur les manuscrits. Aujourd’hui, le temps a passé. J’estime que s’il me les a confiées c’était un acte de confiance et qu’il me laissait apprécier. Je ne dévoile rien de personnel en les cédant. Il s’agit de pensées, pas d’intimité. L’avenir se décidera collectivement en la matière, avec sa famille et les chercheurs.»

Le rapport de Foucault à ses archives

«Il n’était pas intéressé par sa postérité. Il a laissé un matériau de travail, très organisé comme il l’était lui-même: l’ordinateur était dans sa tête. Mais il n’aimait pas l’idée que l’on montre les échafaudages. Il ne conservait rien des étapes de ses livres. Par exemple, il jetait les lettres qu’il recevait. Je passais derrière et je défroissais le courrier. Dans la corbeille à papier, je pouvais trouver une lettre de Barthes ou une carte postale de Lacan. Sa correspondance avec moi est privée, je veux l'emporter dans ma tombe.»

Que faire de l’argent?

«Refaire l’appartement, qui n’a pas été rénové depuis quarante ans. Et pour le reste, vous verrez bien. Je ne vais pas faire de promesses sur des choses qui ne sont pas faites. Je peux mourir demain.»
Propos recueillis par Eric Aeschimann et Isabelle Monnin

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