domenica 14 dicembre 2014

Daniel Zamora: Peut-on critiquer Foucault ? - Entretien inédit pour le site de Ballast @ Revue Ballast online, Fr, 03Dec2014


Daniel Zamora: Peut-on critiquer Foucault ? - 
Entretien inédit pour le site de Ballast 
@ Revue Ballast online, Fr, 03Dec2014
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Le titre est provocateur, soit. Mais à voir sa canonisation et son omniprésence dans le monde universitaire ainsi que dans bien des cercles de la gauche radicale, la question est en droit de gratter. D'autant que nous aimons, à Ballast, faire la part belle aux débats, aux échanges de vues — discordantes et contradictoires, de préférence — et aux démêlées qui agitent le vaste champ socialiste. Un essai collectif, titré Critiquer Foucault, vient de paraître aux éditions Aden. « Loin de mener une lutte intellectuelle résolue contre la doxa du libre marché, Michel Foucault semble, sur bien des points, y adhérer », assure-t-il tout de go. Pour en discuter, nous avons rencontré l’instigateur dudit essai, le sociologue belge Daniel Zamora.

Son ami Paul Veyne note dans Foucault, sa pensée, sa personne qu'il était inclassable, politiquement et philosophiquement : « Il ne croyait ni à Marx ni à Freud, ni à la Révolution ni à Mao, il ricanait en privé des bons sentiments progressistes, et je ne lui ai pas connu de position de principe sur les vastes problèmes, tiers-monde, société de consommation, capitalisme, l’impérialisme américain. » Vous écrivez qu'il a toujours eu un « temps d'avance sur ses contemporains » : c'est-à-dire ?

Disons qu’on peut difficilement enlever à Foucault le fait d’avoir mis en lumière des problématiques qui étaient très clairement ignorées, voire mises de coté par les intellectuels dominants de son époque. Que ce soit sur la psychiatrie, la prison ou la sexualité, ses travaux ont clairement mis le doigt sur un impensé du champ intellectuel. Bien sûr, il s’inscrit dans une époque, un contexte social beaucoup plus large et il ne sera pas le seul à travailler sur ces questions. Ces problématiques vont émerger un peu partout et faire l’objet d’importants mouvements sociaux et politiques. En Italie, par exemple, le mouvement anti-psychiatrique initié par Franco Basaglia n’a pas attendu Foucault pour remettre en cause les asiles et formuler des propositions politiques stimulantes afin de remplacer l’institution. Foucault n’est donc évidemment pas à l’origine de tous ces mouvements — et il ne l’a jamais prétendu — mais il a clairement ouvert la voie à de très nombreux historiens et chercheurs travaillant sur de nouvelles problématiques, de nouveaux territoires encore peu explorés. Il nous a appris à toujours questionner politiquement les objets qui semblaient alors « au delà » de tout soupçon. Je me souviens encore de son fameux entretien avec Chomsky, lorsqu’il déclarait que la vraie tâche politique à ses yeux était de critiquer les institutions « apparemment neutres et indépendantes » et de les attaquer « de telle manière que la violence politique qui s’exerçait obscurément en elles soit démasqué¹ ». Si j’éprouve parfois quelques doutes sur la nature de ses critiques — nous y reviendrons sans doute — il n’en reste pas moins que c’était une tâche plus que novatrice et stimulante.

Votre ouvrage, en rendant Foucault compatible avec le néolibéralisme, risque de faire grincer un paquet de dents !

« Foucault était attiré par le libéralisme économique : il y voyait la possibilité d’une forme de gouvernementalité beaucoup moins normative et autoritaire que la gauche socialiste et communiste. »
J’espère ! C’est un peu le but du livre. Je voulais clairement rompre avec l’image bien trop consensuelle d’un Foucault en opposition complète avec le néolibéralisme sur la fin de sa vie. De ce point de vue, je pense que les interprétations traditionnelles de ces derniers travaux sont erronées, ou évitent du moins une partie du problème. Il est devenu aujourd’hui une sorte de figure intouchable dans une partie de la gauche radicale. Les critiques à son encontre sont pour le moins timides. Cet aveuglement est d’autant plus étonnant que j’ai moi même été surpris de l’indulgence dont fait part Foucault vis-à-vis du néolibéralisme lorsque je me suis plongé dans les textes. Ce n’est pas uniquement son cours aux Collège France qui pose question (Naissance de la biopolitique) mais de nombreux articles et interviews, qui sont pourtant accessibles. Foucault était très attiré par le libéralisme économique : il voyait dans celui-ci la possibilité d’une forme de gouvernementalité beaucoup moins normative et autoritaire que la gauche socialiste et communiste qu’il trouvait totalement dépassée. Il percevait notamment dans le néolibéralisme une politique « beaucoup moins bureaucratique » et « beaucoup moins disciplinariste » que celle proposée par l’État social d’après guerre. Il semble imaginer un néolibéralisme qui ne projetterait pas ses modèles anthropologiques sur les individus et leur offrirait une autonomie plus grande face à l’État. Foucault paraît alors, fin des années 1970, se rapprocher intellectuellement de cette « deuxième gauche », courant minoritaire mais intellectuellement influent du socialisme français. On y retrouvera également une figure telle que Pierre Rosanvallon, dont Foucault apprécie les travaux. Il est séduit par cet anti-étatisme et cette volonté de « désétatiser la société française ». Même Colin Gordon, un des principaux traducteurs et commentateurs de Foucault dans l’espace anglo-saxon, n’hésitait pas à déclarer qu’il voyait chez Foucault une sorte de précurseur de la troisième voie blairiste, incorporant, dans le corpus social-démocrate, des éléments de la stratégie néo-libérale.
Ce constat est particulièrement important si on veut comprendre les changements de l’après 68. La majorité des ouvrages consacrés au tournant conservateur des années 1980 se sont jusqu'à présent articulés autour de l’idée de la « trahison ». Au fond, ils étaient de gauche, puis ont retourné leur veste par « opportunisme ». C’est une lecture sommaire et tout à fait incorrecte à mes yeux. Dès que tu étudies sérieusement les analyses de Foucault — et de bien d’autres — au tournant des années 1980, on comprend vite que leur « gauchisme » ou leur critique portaient essentiellement sur tout ce qu’avait pu incarner la gauche d’après-guerre. L’État social, les partis, les syndicats, le mouvement ouvrier organisé, le rationalisme, la lutte contre les inégalités… Au fond, au-delà de Foucault, je ne pense pas que tous ces intellectuels ont « retourné leur veste ». Ils étaient prédisposés, par leur critique et leur haine de la gauche classique, à embrasser la doxa néolibérale. Dès lors, il devient beaucoup moins étonnant que François Ewald, assistant de Foucault au Collège de France, devienne conseiller du MEDEF tout en se réclamant toujours de son héritage… (...)

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