Anabases, 16, 2012
Michel Foucault, « La Parrêsia », Anabases, 16 | 2012, 157-188
Je te remercie beaucoup de m’avoir
invité. Je viens ici, vous savez, en solliciteur : je veux dire que,
jusqu’il y a quatre ou cinq ans, ma spécialité, enfin ce qui était le domaine
de mon travail, ne touchait guère à la philosophie antique ; et puis c’est
à la suite d’un certain nombre de zigzags, de crochets ou de marches
régressives dans le temps que j’en suis arrivé à me dire que c’était tout de
même très intéressant. Donc je viens là en train de faire un travail. Henri
Joly a bien voulu, un jour où je lui posais des questions, lui expliquais mes
problèmes, me dire que vous accepteriez peut-être d’en discuter avec moi, dans
l’état d’imperfection où se trouve mon travail pour l’instant. C’est des
matériaux, c’est des références à des textes, des indications ; l’exposé que je
vais vous faire est donc lacunaire et vous serez très gentils si vous voulez
bien, premièrement pousser des cris quand je suis décati, m’interrompre quand
vous ne comprenez pas ou que ça ne marche pas et puis à la fin en tout cas me dire
ce que vous pensez. Voilà donc d’abord comment j’en suis venu à me poser ce
genre de questions. Ce que j’avais étudié depuis au fond assez longtemps,
c’était la question de l’obligation de dire vrai : qu’est-ce que c’est que
cette structure éthique interne au dire-vrai qui fait que, en dehors, si vous
voulez, des nécessités se référant à la structure du discours ou à la référence
du discours, quel est ce lien qui fait que quelqu’un est obligé à un moment
donné de dire vrai ?
Pour dire les choses très schématiquement, il me
semble [...] que ce soit un mode de vie, un mode de vie comme pourrait l’être
par exemple le mode de vie philosophique. Il est absolument certain que le mode
de vie philosophique implique absolument la parrhêsia ; Il ne peut pas y avoir
de philosophe qui ne soit un parhrèsiaste ; mais le fait d’être parrhèsiaste ne
coïncide pas exactement avec le mode de vie philosophique. Je crois que – en
tout cas c’est ce que je voudrais vous suggérer – il faudrait envisager la
parrhêsia sous l’angle de ce qu’on appelle maintenant une pragmatique du
discours, c’est-à-dire qu’il faudrait considérer la parrhêsia comme l’ensemble
des caractères qui fondent en droit et qui assurent en efficacité les discours
de l’autre dans la pratique du souci de soi...
Voila donc d’abord comment j’en suis venu à me
poser ce genre de questions. Ce que j’avais étudié depuis au fond assez
longtemps, c’était la question de l’obligation de dire vrai : qu’est-ce que
c’est que cette structure éthique interne au dire-vrai qui fait que, en dehors,
si vous voulez, des nécessités se référant à la structure du discours ou à la
référence du discours, quel est ce lien qui fait que quelqu’un est obligé à un
moment donné de dire vrai ? Pour dire les choses très schématiquement, il me
semble [...] que ce soit un mode de vie, un mode de vie comme pourrait l’être
par exemple le mode de vie philosophique. Il est absolument certain que le mode
de vie philosophique implique absolument la parrhêsia; il ne peut y avoir de
philosophe qui ne soit un parhrèsiaste;mais le fait d’être parrhèsiaste ne
coïncide pas exactement avec le mode de vie philosophique. Je crois que – en
tout cas c’est ce que je voudrais vous suggérer – il faudrait envisager la
parrhêsia comme l’ensemble des caractères qui fondent en droit et qui assurent
en efficacité les discours de l’autre ans la pratique du souci de soi...
Un inédit de Michel Foucault : « La Parrêsia ». Note de présentation
Henri-Paul Fruchaud et Jean-François Bert
p. 149-156
C’est à l’invitation d’Henri Joly, spécialiste de la philosophie antique, que Michel Foucault prononce au mois de mai 1982 à l’université de Grenoble une conférence consacrée à la parrêsia, peu de temps après la fin du cours au Collège de France de l’année 1982, dans lequel cette notion apparaît pour la première fois dans ses travaux. Henri Joly connaissait Foucault depuis son passage à Clermont Ferrand, et comme le précise Pascal Engel : « Le spécialiste de Platon qu’était Joly s’intéressait au “retour aux Grecs” de Foucault et ce dernier avait accepté de venir donner un exposé. Nous allâmes ensemble le chercher à la gare, en l’attendant à la sortie principale, mais là point de Foucault. La gare de Grenoble a une seconde sortie, quasi clandestine, qu’on prend rarement. Michel Foucault trouva le moyen de passer par là et nous eûmes la surprise de l’entendre nous héler derrière nous. Il était, comme le dit une page célèbre de L’Archéologie du savoir, “ressurgi ailleurs” et “en train ...
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