Vous
l’aurez noté en couverture : ce deuxième numéro de rodéo recèle en ses
pages un document exceptionnel… Cadeau infiniment précieux, dont nous
pourrions dire, en prenant au mot une pensée qui élabore une philosophie de
l’événement, que nous le devons à un « accident » de l’Histoire : rien,
évidemment, ne destinait rodéo à devenir l’éditeur même ponctuel d’un texte
de Michel Foucault !
Et
pourtant, sous forme de puzzle :
A. la vie
de l’un des rédacteurs de rodéo, la mienne, à cheval entre la France et le
Liban ;
B. dix
ans plus tôt, diverses rencontres beyrouthines à l’occasion d’une étude
universitaire sur une revue libanaise (« une revue revue : L’Orient-Express
», rodéo n°1) ;
B’. parmi
ces rencontres, des amitiés qui se tissent, avec notamment un philosophe/poète/éditeur,
Farès Sassine ;
C. une
conversation quotidienne, à Beyrouth, à laquelle participait aussi
l’artiste Laure de Selys, présente dans ce numéro de rodéo, au cours de
laquelle Farès nous apprend, sans aucun effet d’annonce, qu’en août 1979,
aux lendemains de la révolution iranienne, alors qu’il venait d’achever sa
thèse de philosophie à la Sorbonne et gagnait sa vie d’étudiant en
proposant des articles aux journaux arabes paraissant à Paris, il a
interviewé Michel Foucault… Et que la K7 est chez lui, sans personne pour
l’écouter depuis 33 ans ;
D-1.
2010-2011 : Foucault si loin si proche, déjà nous le cherchions, et notre
lanterne avait pris la forme d’après-midis de lecture collective, à Lyon,
qui réunissaient certains des futurs fondateurs de rodéo ;
D.
Dernier élément du puzzle : rodéo bien sûr, revue naissante, dont le geste
serait de précipiter ensemble des territoires hétérogènes de sensations et
de pensées.
Cadeau
infiniment précieux puisqu’il nous offrait – après que nous avons réussi à
dompter les peurs liées à nos capacités éditoriales de jeune revue – la
possibilité d’accomplir ce geste avec une puissance… inédite : faire
cohabiter cette parole philosophique avec d’autres langages, artistiques,
photographiques, scientifiques, littéraires, politiques, picturaux, etc.,
et par là composer et orchestrer des chocs entre des champs de réflexions
et de pratiques parfois cantonnés en tant que « catégories » dans des
espaces-temps séparés : jeunes chercheurs, photographes militants, plasticiens
géologues, avocats musiciens, écrivains cinéastes, philosophes artistes,
universitaires poètes… une revue-vecteur.
Un très
chaleureux merci à Farès Sassine donc, pour nous avoir remis cette archive
à la fois personnelle et historique, et pour nous avoir fait confiance sur
les choix, les décisions délicates qu’implique la publication posthume de
propos inédits d’un homme dont la renommée est immense et qui nous laisse
en héritage une pensée polémique dans le double sens qu’elle continue
d’abord d’accompagner aujourd’hui nombre de combats, nombre de travaux,
nombre d’hommes et de femmes qui cherchent à traquer les failles sous les
représentations trop ordonnées du monde, et aussi de susciter des passions,
des interprétations contradictoires, parfois à la défaveur de son auteur,
qui, à trop jouer avec le feu, se serait « compromis ».
Le
reportage iranien de Michel Foucault est parmi les chantiers les plus
controversés du philosophe généalogiste. Il appartient aux spécialistes de
sa pensée de juger si cet entretien invite à réouvrir le débat sur la place
que les « textes iraniens » de Foucault occupent dans son corpus
philosophique ainsi que sur la pertinence et l’effectivité de la méthode et
des analyses qu’il développe à l’occasion de son reportage en Iran.
À tout le
moins, les propos que Foucault tient ici sur les modalités,
intellectuelles, sensibles, historiques, de surgissement d’abord et
d’appréhension ensuite de l’« événement », dessinent pour nous – qui avions
déjà tenté, dans le premier numéro de rodéo, de nous saisir de la «
révolution » tunisienne – comme des repères pour continuer de nous
construire, en tant qu’individus politiques, au contact de l’actualité des
pays arabes.
Si les «
révolutions » de 2011 ont réouvert l’avenir – prometteur et/ou
sanglant –, c’est notamment, en rendant effectives, pour ceux qui se
sont soulevés, leur capacité à le faire, et pour ceux qui ont assisté à ce
soulèvement, notre capacité à le voir, à y porter crédit sans soupçon, déjà
entaché d’une idée de l’avenir.
Seconde
actualité : l’islam bien sûr. Non pas la foi comme moteur cette fois, du
moins cela n’a pas été une lecture majoritaire, mais l’islam comme « lieu
d’accueil » des lendemains des soulèvements. L’ancrage de certains
imaginaires dans la dystopie a entraîné… le regret des dictatures anciennes
qui avaient le mérite de contenir l’islamisme… l’effroi devant certaines de
ces sociétés tribales incapables de s’unifier dans un projet politique
national et démocratique… la crédibilité redoublée du soi-disant oxymore
islam - modernité…
Comment
se donner les moyens de penser autre chose ? Une attention portée aux
usages de l’islam, intimes et collectifs, individuels et publics, ne nous
aiderait-elle pas à renouveler le regard porté sur cette religion, ou sur
la religion quand elle se mêle de politique, ou sur les grandes
distinctions dont la modernité a tracé les frontières ?
Le
chantier de Michel Foucault sur la « spiritualité politique », qui est au
cœur de l’entretien publié ici, est à ce titre une invitation à rebattre
les cartes. Corps, décision, géographie, individu, pouvoir, révolte,
singularité, soulèvement, spiritualité, surréalisme, volonté : ce sont les
termes qui traversent l’ensemble de ce rodéo n°2, sans que les matières
présentées ici en dehors du « dossier Foucault » n’aient cherché à s’y
référer.
Que les
sensibilités propres à chacune des propositions réciproquement s’éclairent,
s’instruisent, s’embrasent, tel est le pari de ce rodéo.
sandra
iché pour rodéo
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