lunedì 22 dicembre 2014

Daniel Zamora: "Foucault, la gauche et les années 1980" (Introduction à "Critiquer Foucault", Aden Editions, 28 November 2014)


Foucault, la gauche et les années 1980
Daniel Zamora 

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"En 1984, peu de temps avant sa mort, Michel Foucault déclare lors d’un entretien accordé à Paul Rabinow :
« Je crois avoir été localisé tour à tour et parfois simultanément sur la plupart des cases de l’échiquier politique : anarchiste, gauchiste, marxiste tapageur ou occulte, nihiliste, antimarxiste explicite ou caché, technocrate au service du gaullisme, néolibéral... [...] Aucune de ses caractérisations n’est par elle‐même importante ; leur ensemble, en revanche, fait sens. [...] Il faut bien se résoudre à voir, dans leur incapacité à me situer, quelque chose qui tient à moi. »

Cette multiplicité d’«étiquettes», aussi contradictoires qu’inadaptées pour qualifier ce géant de la pensée française du xxe siècle, sont pourtant à son image. Par la richesse de son travail, mais aussi par sa capacité à penser, voire à anticiper les questions centrales de son époque, Foucault semble toujours interroger de manière stimulante et novatrice les enjeux de son temps. Que ce soit lors de son adhésion au Parti communiste français, de sa période gaulliste ou de son rapprochement avec les mouvances maoïstes, il restera toujours un interlocuteur critique de ces mouvements. « Compagnon de route » d’une époque qu’il aura secouée intellectuellement, Foucault aura toujours eu un temps d’avance sur ses contemporains. C’est à ce titre que nous pouvons comprendre la multiplicité des réceptions et des lectures de son travail. Fruit des courants de pensée divers et contradictoires qui l’ont nourrie, son oeuvre est, par essence, irréductible à une seule appellation.

Lors du décès de Michel Foucault en 1984, Paul Veyne ira jusqu’à affirmer que son oeuvre constitue « l’événement de pensée le plus important de notre siècle ». Trente ans après sa mort, force est de constater qu’il est bel et bien devenu un des intellectuels contemporains les plus influents des quarante dernières années, tant dans le monde intellectuel français qu’à l’étranger. Son oeuvre à été largement diffusée, traduite et enseignée de par le monde et par delà les « écoles». Ses idées, quant à elles, sont utilisées dans des champs d’analyse aussi variés que l’histoire, la philosophie, l’anthropologie, la science politique ou la sociologie. Son travail a ainsi largement inspiré de nombreux intellectuels contemporains au sein des Gender Studies, des études postcoloniales ou de ce qu’on nomme, plus généralement, le courant postmoderniste. Son influence sur la vie intellectuelle est donc considérable et a largement façonné les termes du débat intellectuel de la seconde moitié du xxe siècle. Foucault est donc bel et bien devenu, à tort ou à raison, une référence intellectuelle centrale de notre époque.

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Cette hégémonie intellectuelle est particulièrement prononcée dans les foyers de la pensée critique universitaire. Il y fait figure de référence presque sacrée tant pour son travail que pour la conception de l’engagement intellectuel qu’il incarnera dans ses nombreux combats politiques. Il n’est aujourd’hui plus une université ou groupe de réflexion critique qui ne se soit pas, de près ou de loin, frotté au travail de Foucault.
Cette association du père de « l’intellectuel spécifique » avec la gauche critique contemporaine doit pourtant être interrogée au regard de ses prises de position et des mouvements auxquels il s’associera durant la dernière décennie de sa vie. En effet, si sa période mao ou sa courte adhésion au parti communiste provoquent relativement peu de polémiques au sein de ses disciples de gauche, il en va tout autrement pour ses engagements plus tardifs.

Qu’il s’agisse de son soutien aux « nouveaux philosophes », de ses analyses sur la gouvernementalité, ou de son rapport ambigu au néolibéralisme dès la fin des années 1970 et le début des années 1980, les positions du philosophe embarrassent plus d’un de ses exégètes. En effet, Foucault ne se contente pas simplement de questionner certains aspects de la pensée néolibérale, il semble être séduit par le développement de quelques‐unes de ses thématiques centrales. Ces questions, loin d’incarner simplement les évolutions d’un intellectuel, illustrent plus généralement les mutations d’une certaine gauche d’après Mai 68, les désillusions à venir et transformations profondes du champ intellectuel français.
En effet, les années 1980 sont également les années du renoncement de la gauche au pouvoir d’abord, mais aussi de ses intellectuels. La victoire de 1981 prépare alors les désillusions, les échecs et l’abandon du projet de « transformer le monde » au profit de celui d’accompagner le néolibéralisme. Les « compagnons de route » d’antan deviennent alors les compagnons de la doxa néolibérale et les plus ardents opposants à toute forme de projet de transformation sociale. Tout ce qui fut célébré est désormais vu comme ce qui fait problème et qui mène inexorablement à la « tentation totalitaire ». État, sécu rité sociale, redistribution, biens publics, nationalisations sont alors devenus des idées désuètes et conservatrices.

Comment en effet interpréter la lecture radicale que Foucault fera de la sécurité sociale, qualifiée alors essentiellement d’instrument d’accomplissement du « biopouvoir » ? Ou son soutien, plus marqué qu’on aime parfois le penser, pour les « nouveaux philosophes » ? Comment lire ses cours sur la naissance de la biopolitique et sa sympathie alors assumée pour cette « deuxième gauche » naissante et très sociale‐libérale ? Enfin, on pourrait également s’interroger sur son illusion d’un néolibéralisme dont les formes de pouvoir seraient moins disciplinaires et où la prison tendrait à disparaître. Toutes ces questions portent en réalité non seulement sur Foucault mais également sur les ambiguïtés d’une partie de la gauche, et en particulier de certaines de ses figures de proue intellectuelles, face à l’idéologie néolibérale montante.

Que ce soit sur la question de l’État, de la sécurité sociale, du « souci de soi », de la prison, de l’autonomie ou du pouvoir, force est de constater que les critiques traditionnellement portées par cette gauche « libertaire » ont été profondément déstabilisées suite à l’offensive néolibérale. En effet, loin d’avoir été en opposition avec ces thématiques centrales de la pensée libertaire, le mouvement néolibéral les a au contraire mobilisées dans le coup d’État symbolique (en grande partie réussi) qu’il était alors occupé à mener contre les défenseurs de l’État social. La sécurité sociale y sera alors également décrite comme un système de « contrôle social » ; la défense de l’autonomie individuelle, invoquée durant les « T rente glorieuses » pour s’opposer – par la gauche – à l’aliénation du travailleur dans les structures de production de masse capitalistes, sera désormais recyclée dans une critique de l’État et de sa « bureaucratie » ; plus généralement, la liberté de l’individu sera célébrée contre les structures sociales qui l’asservissaient, dans une critique générale de l’État mais aussi des syndicats, des partis, de la famille et de l’ensemble des autres structures intermédiaires qui constituaient l’ossature communautaire des mouvements sociaux qu’il s’agissait d’affaiblir pour faire place aux politiques néolibérales.

Ce recyclage intellectuel, qui figure au coeur du « nouvel esprit » du capitalisme, doit nous amener à nous interroger rétrospectivement sur les déplacements théoriques opérés par certains intellectuels de gauche de premier plan dès la fin des années 1960 et en particulier, sur les trajectoires souvent étonnantes de ces anciens maos convertis si rapidement aux dogmes de l’économie de marché. Et si leur « conversion » n’était pas si surprenante que cela ? Leur opposition à tout ce qu’ont pu incarner la « vieille » gauche et ses institutions ne préfigurait‐elle pas déjà leur future « trahison » ? Si la question est provocante, elle n’en est pas moins légitime et stimulante. Comprendre les années 1980 et le triomphe néolibéral, c’est également explorer les recoins les plus ambigus de la gauche intellectuelle de cette décennie et plus particulièrement d’une de ses plus importantes figures. De récents travaux sont d’ailleurs amplement revenus sur
cette période. Certains y voient un Foucault très séduit par le néolibéralisme, d’autres une critique de celui‐ci et, plus récemment, l’idée que le philosophe utilise alors le néolibéralisme pour interroger la théorie sociale. Ces lectures très différentes (voire opposées) traduisent en réalité les ambiguïtés et tensions qui ont traversé la gauche d’après Mai 68.

S’il est impossible de se prononcer sur la trajectoire qu’aurait suivi Foucault, il est pourtant intéressant de se pencher sur plusieurs épisodes qui donnent à voir une facette méconnue de l’intellectuel. S’il l’on souligne de manière récurrente les renoncement et autres « conversions » au néolibéralisme de figures historiques de la gauche intellectuelle, on souligne relativement peu comment certains développements intellectuels de la dernière période de travail de M. Foucault, apparemment au delà de tout soupçon, ont paradoxalement oeuvré à la légitimation d’un certain sens commun néolibéral. Souvent ignorées, ou relégués par ses partisans à des « détails » ou à une « incompréhension » des intentions réelles de l’auteur, les ambiguïtés que révèlent ces différentes questions ouvrent pourtant des réflexions très stimulantes sur l’époque.

Le propos de cet ouvrage est dès lors d’interroger le travail et les engagements de Michel Foucault au cours de ses dernières années, au travers de sujets certes différents, mais qui incarnent les débats d’une époque, traversant une gauche alors électoralement triomphante mais dont les fondations intellectuelles étaient déjà profondément affaiblies. Notre objet n’est donc pas de tenter de répondre à la fausse question de savoir si Foucault est devenu néolibéral à la fin de sa vie. Nous préférons substituer à cette question, stérile et enfermant le débat dans des considérations parfois fort partiales, plusieurs interrogations. Il n’est donc pas question d’être « pour » ou « contre » Foucault, mais bien plutôt de le discuter, de s’y confronter et de le critiquer pour mieux comprendre son ampleur et les enjeux qu’il ouvre dans le champ intellectuel.

Notre ouvrage ouvre donc des « chantiers » tant historiques que théoriques où il nous a semblé stimulant de questionner les choix et les idées de ce monstre sacré de la pensée française du XXe siècle, afin de mieux comprendre non seulement une époque mais aussi d’interroger nos propres convictions sur ce que doit être une théorie critique."

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