Revue Recto/Verso N° 1 – Juin 2007
http://www.revuerectoverso.com ISSN 1954-31741
« JE CROIS AU TEMPS... »
DANIEL DEFERT LÉGATAIRE DES MANUSCRITS DE MICHEL FOUCAULT
Propos recueillis par Guillaume BELLON
Daniel Defert, qui a partagé la vie de Foucault pendant plus de vingt ans, est aujourd’hui propriétaire
de l’ensemble des notes et manuscrits laissés par le philosophe au moment de sa mort. Lourd héritage,
marqué par le sceau de l’interdit : Foucault, qui répétait souvent à son entourage : « Ne me faites pas
le coup de Max Brod avec Kafka », avait en effet pris soin de préciser sur son testament : « Pas de
publication posthume ». Deux grands chantiers d’édition ont pourtant été menés depuis sa disparition
en juin 1984 : d’abord le recueil des Dits et écrits, qui regroupe les articles, entretiens, ou conférences
donnés par l’auteur, ainsi que la parution progressive de l’intégralité des Cours au Collège de France
dispensés par Foucault à partir de 1970 et jusqu’à son décès (voir la bibliographie). Deux projets
d’envergure, qui n’allaient pas de soi, et auxquels Daniel Defert a été associé à différents titres. C’est
sur ce problème délicat, qui mêle la question de l’intimité d’une mémoire à respecter et celle de la
publicité à donner au pan inédit d’une œuvre considérable, que nous avons souhaité l’interroger.
Hériter d’une œuvre ?
Je n’avais jamais pensé, en partageant la vie de Foucault, qu’un jour je recevrais l’héritage de
ses papiers. Nous n’en avions jamais parlé de son vivant, et lorsqu’il se retrouva à l’hôpital, c’était
déjà trop tard : ce ne sont pas des choses dont on parle à l’hôpital. Foucault était absolument opposé à
l’idée de constituer une œuvre. Je me souviens de Marguerite Yourcenar, disant écrire même si elle
n’était pas publiée, pour la postérité : cela faisait rigoler Foucault, qui se souciait peu de la postérité
s’il n’était pas là pour dialoguer.
L’idée d’un recueil avec moi avait pourtant émergé de son vivant, et il devait y travailler en
sortant de l’hôpital. Malheureusement, il n’a jamais pu le faire. Très vite, Fr. Ewald a imposé l’idée de
la création du centre Michel Foucault : nous en avions besoin pour collecter des textes totalement
dispersés dans le monde, et que ni Foucault ni moi n’avions conservés. J’avais voyagé avec lui, je
savais où il était allé, et quels entretiens il avait donnés, mais les textes manquaient. Nous voulions
aussi recueillir les enregistrements des Cours au Collège : des dizaines d’auditeurs enregistraient les
cours (le Collège ne le faisait pas), et Foucault devait être le seul à ne pas avoir de cassette de son
cours ! Le Centre s’est installé à la Bibliothèque du Saulchoir, où Foucault avait beaucoup travaillé.
Elle était à l’époque dirigée par Michel Albaric, qui s’est beaucoup investi dans un projet qui exigeait
sans doute plus de moyens que n’en disposait la Bibliothèque. Quand Philippe Artières a été élu à la
présidence du Centre Foucault, il a confié le fonds à l’Institut de la Mémoire et de l’Édition
Contemporaine (IMEC). Ce qui fut une opération de double valorisation : des archives Foucault, bien
sûr, plus aisément accessibles, et de l’Imec. Selon une statistique récente, le fonds Foucault est le plus
consulté à l’Imec.
Les Dits et écrits
Foucault, lorsqu’il travaille, avec Deleuze, à l’édition des Œuvres complètes de Nietzsche,
n’est pas hostile à ce qu’on réunisse même les notes de blanchisserie du philosophe - ce qui était une
allusion très claire à un éditeur de Victor Hugoi. Nous n’avons pas fait ça pour Dits et écrits, qui ne
regroupent que des choses déjà publiées, même dans de très petits fascicules : il y a un texte américain
qui était quasiment une édition ronéotypée ! Mais tout ce qui avait eu une existence publique, on l’a
inclus. L’édition présente ainsi l’intégralité des textes publiés du vivant de Foucault, mais pas
forcément relus par lui (il ne relisait que les entretiens donnés en France), même des textes à diffusion
confidentielle. Nous avons opté pour la présentation chronologique, préférable à toute présentation
thématique, qui se serait calée sur la réception de l’époque, alors que cette édition est faite pour durer.
La plupart des éditions étrangères a choisi un classement thématique, beaucoup de textes ou entretiens
ayant été déjà traduits en volumes isolés ; c’est une décision qui pourtant me semble dommageable.
Bien sûr, les Dits et écrits sont très répétitifs : quand on lit trois fois un entretien sur le même ouvrage,
même si Foucault dit à chaque fois quelque chose d’un peu différent, on n’apprend pas grand-chose.
Mais il fallait viser l’exhaustivité : seuls trois textes nous ont échappé (et se trouvent maintenant dans
l’édition allemande). Lorsqu’il y a plusieurs versions, comme pour la conférence « Qu’est-ce qu’un
auteur ? », on donne les deux versionsii. Dans le cas, par exemple, de l’éditorial du journal tiers-
mondiste, Zone des tempêtes, éditorial rédigé ou simplement accepté par Foucault, on n’est sûr de
rien : alors on l’indique en noteiii. Pour les textes à signatures multiples, comme « Convoqués à la PJ »,
signé par Foucault, A. Landau et J.-Y. Petit dans Le Nouvel Observateuriv : on possédait les preuves
qu’il était écrit par Foucault lui-même.
Entre les deux volumes des Dits et écrits de l’édition « Quarto »v, on voit bien le dit prendre le
pas sur l’écrit : Foucault est beaucoup plus sollicité ; ses voyages à l’étranger sont l’occasion de
nombreux entretiens. Le statut politique et intellectuel de Foucault devient évident. Des innocents ont
signalé le silence de Foucault pendant la Guerre d’Algérie : il n’était pas en France, et personne
n’aurait eu l’idée de solliciter son avis ! Il n’était pas connu. Bien sûr, il y a cet entretien de 1973, dans
lequel Foucault déclare : « Vous faites références à des choses que je n’ai pas tout à fait écrites ; dites
seulement au cours d’entretien. Je ne suis pas sûr que je les maintiendrais telles quelles »vi. On le
savait bien qu’on prenait le risque de figer une « œuvre ». Mais on ne voyait pas l’intérêt (on pourra
toujours nous le contester) à laisser circuler comme des événements sans cohérence les différentes
interventions de Foucault. On pourrait : il existe des œuvres qui circulent ainsi. J’ai pris comme
modèle l’édition italienne de Walter Benjamin, que j’avais trouvée tout à fait intéressante. Je suis
convaincu, véritablement, qu’on est face à une « œuvre », avec sa propre cohérence théorique : je
pense à un texte de Foucault pour protéger de la censure le livre de P Guyotat, Éden, Éden, Édenvii.
Communistes et socialistes étaient intervenus autour de Guyotat. Le texte de Foucault est très beau,
mais, avec le recul, on voit bien que ce qu’il dit a peu à voir avec Guyotat, et que cela concerne tout à
fait ce qu’il dira dans l’Histoire de la sexualité. Foucault était un homme extrêmement disponible à
beaucoup d’événements, mais il était aussi très mono-idéique. C’était quelqu’un de très attentif, qui,
en même temps, ne quittait jamais le champ de ses problèmes : ainsi, ses interventions politiques nous
disent aussi quelque chose sur l’état de son travail intellectuel, et nous renvoient autant à l’actualité
qu’à son actualité théorique personnelle. Disperser ces textes, comme autant de petits événements
ponctuels et purement politiques et circonstanciels, sans les renvoyer à la problématique qui est en
train de se formuler, aurait été erroné. J’aurais tendance, spontanément, à faire la chronologie de tous
les déplacements de concepts dans les différents textes et surtout dans les cours : le concept
d’idéologie, bête noire de Foucault dans les années 1955, se dilue dans « savoir-pouvoir », puis tout
cela se reformule dans « gouvernementalité » : ce sont là des problématiques extrêmement centrées,
mais articulées autrement.
Éditer les cours
Je n’ai pas voulu être co-éditeur des cours. François Ewald m’avait proposé de faire partie de
l’équipe, comme pour Dits et écrits. Or, là, on est quand même dans la publication posthume, et j’ai
été un peu gêné. Mais on ne sort jamais de la transgression, puisque c’est moi qui fais l’acte le plus
sacrilège : je me retrouve à éditer la transcription du manuscrit, pour le cours de 1970-1971, qui
n’avait pas été enregistré sur cassettes. C’est un vrai problème, que je vis allègrement. De toute façon,
j’interviens à chaque fois, puisque je confronte les épreuves aux manuscrits qui sont en ma possession.
L’édition des cours fut complexe. Elle fut évoquée très tôt après la mort de Foucault.
Bourdieu, alors au Collège, avait été contacté par une assistante pour assurer la publication. Gilbert
Burlet avait déposé au Collège la totalité de ses enregistrements. S’est alors posé un cas qui n’avait
connu aucun précédent au Collège : le Collège pouvait-il éditer des cours ? Il y eut une assemblée des
professeurs, qui statua que la propriété des cours revient à leur auteur. La question des cours nous a
pourtant échappé, même si, à partir du moment où il existait des enregistrements, elle nous pendait au
nez. Il exista une édition d’une année en Italie, une édition annoncée à Hong Kong ainsi qu’au Brésil.
Il était urgent d’avoir quand même une édition de référence : en laissant faire des éditions aussi
aléatoires, on ne pouvait rien garantir de sérieux. Les cours sont aujourd’hui co-édités par François
Ewald et Alessandro Fontana, ce qui relève en fait d’une décision judiciaire. La famille de Foucault a
souhaité en effet arrêter l’édition pirate. Stéphane Hessel, autrefois responsable des problèmes de
propriété intellectuelle auprès des Nations Unies, fut nommé médiateur par un juge, et décida que
Fontana (l’éditeur italien au sens anglais), que j’aime beaucoup, serait co-éditeur de l’édition
française : cela arrêtait l’édition italienne. Laquelle édition, Fontana l’a reconnu lui-même, comportait
des erreurs. Nous avons pris comme principe, dans notre édition, l’enregistrement oral, c’est-à-dire ce
qui avait été public, donc ne tombait pas sous le coup de la prescription testamentaire : « Pas d’édition
posthume ». Mais nous avions quand même la trace écrite, et, comme les lecteurs qui ont accès au
manuscrit peuvent s’en rendre compte, Foucault écrivait presque intégralement ses cours, ce qui
constitue une garantie, une sécurité, et permet de constituer une édition de référence, avec un appareil
critique.
La valeur, l’intérêt des cours, nous en avions tous été témoins : parfois cinq à six cent
personnes assistaient au cours, chaque semaine, pendant treize ans. L’enseignement de Foucault avait
toujours été passionnant pour les auditeurs, et avait constitué en même temps un événement politique :
il y avait toujours un lien à l’actualité politique. Ce qui est probablement moins sensible vingt ou
trente ans après, mais ce qui se ressentait très bien à l’époque. Nous n’avons pas respecté l’ordre
chronologique, et cela pour trois raisons. Une raison de facilité, tout d’abord : nous n’avions pas
d’enregistrement pour les deux premières années. Une raison d’attrait : il s’agissait de porter
l’attention sur des objets un peu différents, et toujours actuels. Une dernière raison, enfin : montrer
rapidement la variété du champ d’intérêt de Foucault. Lorsqu’on pourra lire l’ensemble
chronologiquement, l’idée d’une discontinuité thématique et méthodologique sur laquelle a insisté, par
exemple Gary Gutting aux États-Unis, s’effaceraviii ; on verra qu’on a affaire non pas à des
changements de méthode et d’objets, mais véritablement à un approfondissement constant et à des
déplacements de concepts qui sont des creusements de problématiques : on n’a pas, d’années en
années, des changements radicaux, mais quelques problèmes fondamentaux qui s’articulent entre eux.
L’œuvre de Foucault m’apparaît de plus en plus dans sa cohérence d’œuvre.
L’intention est d’éditer l’ensemble des cours : quatre années supplémentaires sont déjà
transcrites, et devraient sortir prochainement. J’ai quant à moi travaillé sur un cours pour lequel nous
n’avons que le manuscrit [La Volonté de savoir, cours de 1970-1971]. Progressivement, on s’est
autorisé à inclure des fragments du manuscrit, parce qu’il y a souvent des écarts entre version orale et
écrite ; on trouve même plus d’audace, je dirais, dans la version orale. Souvent, des analyses de
concepts très détaillées à l’écrit sont estompées ou synthétisées oralement : on s’est trouvé quelquefois
devant des passages à réintroduire, et ainsi, petit à petit, le corps manuscrit a commencé à émerger
dans l’édition. Jacques Lagrange ouvre les marges du Pouvoir Psychiatrique [cours de 1973-1974] à
de larges extraits du manuscrit, ainsi que Michel Senellart dans Sécurité, Territoire et Population et
Naissance de la biopolitique [cours de 1977-1978 et 1978-1979] Des éléments en effet
n’apparaissaient pas dans les enregistrements, et méritaient cependant d’être conservés. Qu’en faire ?
Les laisser aux trois cents personnes qui iront lire les manuscrits ? Je n’ai pas encore déposé ces
manuscrits, mais du moment que les cours sont édités, le problème change : ça ne sera plus une espèce
de « viol ». Nous en avons de toute façon encore besoin pour l’édition. Mais une fois que tous les
cours seront édités, les manuscrits seront accessibles : je compte les déposer, mais je ne sais pas
encore où. La Bibliothèque nationale s’est révélée si décevante... Je ne compte pas les prendre dans
mon cercueil : la correspondance, oui, mais pas les cours.
On a été un peu rigide sur le respect de la lettre, au sens strict : la lettre testamentaire. Mais
quand on trouve de beaux passages, c’est un peu dommage : entre le respect de la lettre et le respect de
l’œuvre, il y a quand même des analyses détaillées qui méritent de figurer dans l’édition. Sans quoi,
c’est un peu de la perte. On n’a pas souhaité faire une édition « ethnographique » : au début, on avait
tendance à être dans une espèce de scrupule : les bégaiements, les euh..., les rires de la salle étaient
transcrits, et puis, petit à petit, on a un peu gommé au profit du respect de ce qu’est un livre. D’autant
que Foucault a conçu la plupart de ses cours comme des livres. Il y a une progression, une dramaticité,
une intrigue conceptuelle qui en font des livres. _a ne correspond pas tout à fait au paradigme habituel
des cours au Collège de France : je me souviens avoir suivi, et Foucault bien avant moi, les cours de
notre maître Martial Guéroult, qui commentait trois lignes de Spinoza en une séance, ce qui en faisait
des fragments de pure érudition. Avec Foucault, chaque séance est un chapitre, et l’année forme un
livre. Même si je ne suis pas catégorique, je pense que c’est écrit la plupart du temps de premier jet. Il
y a des ratures, des pages sont refaites, on trouve parfois le recto et le verso écrits, alors que Foucault
n’utilisait que le recto : le verso est alors une autre version du même cours. Mais ce sont des fragments
de brouillon, jamais un brouillon complet : Foucault ne laisse nulle part de trace de plan écrit.
Quelquefois, c’est écrit au fil des semaines, et en même temps c’est étonnamment maîtrisé : il a
pratiquement écrit un volume par an, en plus de ses livres, qui eux prenaient cinq ans, et qui n’étaient
pas du tout écrits de la même façon.
Les manuscrits des livres
Nous ne possédons pas l’archive des livres, mais ils étaient écrits selon des règles totalement
différentes des cours. J’ai cédé à la BnF le seul manuscrit qui restait, de l’Histoire de la sexualité. Le
livre est paru quand Foucault était déjà à l’hôpital, et il n’a donc pas pu détruire le manuscrit. Sans
quoi, il l’aurait détruit comme tous les autres : je l’ai vu jeter ses manuscrits, et je ne lui ai jamais dit
qu’il devrait les conserver : Foucault aurait rigolé, et les aurait détruits encore plus vite. Il se trouve
que j’ai aussi une version de l’Archéologie du savoir, qu’il m’avait donnée à lire, et que j’ai gardée
chez moi, et retrouvée en déménageant. Version qu’il a écrite en quelques semaines, et, c’est tout à fait
intéressant pour comprendre la genèse de l’écriture de Foucault. Pendant que Les Mots et les choses
étaient sous presse, il commençait leur critique, avant même que d’autres la fassent ! Il a écrit à peu
près six cents pages en quelques semaines, très personnelles, un peu phénoménologiques même : « je
suis au mitan de mon travail », dit-il. Ce manuscrit n’est peut-être pas tellement éloigné de la version
finale (Frédéric Gros [éditeur de L’Herméneutique du sujet] le pense, j’en suis moins certain), alors
que cette version finale a été écrite après qu’il a énormément travaillé les analystes anglais. C’est le
seul cas où l’on possède la première version d’un livre. Pour l’Histoire de la sexualité, c’est le
manuscrit de la dernière version. Or, en général, il y avait trois versions : une sorte de version
immédiate, ce qu’il pensait du sujet, et qui constituait justement ce qu’il fallait cesser de penser.
Quelque chose que l’on pensait sans recherche était ce dont il fallait se débarrasser. Il se trouve que je
n’ai jamais discuté avec lui de la genèse de ses livres, mais il m’avait écrit dans une lettre : « c’est
presque fini, ça n’a plus rien à voir avec ce que je pensais ».
L’impératif « penser autrement » est une vraie ascèse, et une méthode permanente. Il y avait
donc d’abord la version de ce qu’il ne fallait pas dire, qu’on pensait un peu spontanément. Ensuite, il y
avait la reprise de tout ça à partir d’un travail de recherches, ce qui demandait facilement trois ans.
Une fois ce travail de recherches fait, il y avait une réécriture. Dans l’entre deux, il y a sans doute des
plans, mais ils ont été détruits. Foucault donne alors ce deuxième manuscrit à dactylographier à
l’éditeur, et réécrit, sur la dactylographie, la troisième version, qui est plutôt le nettoyage littéraire. Le
manuscrit de l’Histoire de la sexualité, cédé à la BnF, c’est un moment où les deux volumes n’étaient
pas encore séparés. Je ne sais pas si c’est réellement la troisième version du livre, qui s’est faite très
tardivement. En réalité, Le Souci de soi était conçu comme une préface de L’Usage des plaisirs,
préface devenue tellement volumineuse que Foucault l’a séparée. Dans plusieurs chapitres, on voit
bien que Foucault hésite entre un ou deux volumes. J’ai fait quelques pages d’analyse pour
accompagner le lot à la BnF, sans comparer texte à texte avec l’édition finale. On voit pourtant que
sont réunis dans ce manuscrit les chapitres d’un gros volume, redistribué ensuite en deux.
Le quatrième tome d’Histoire de la sexualité, Les Aveux de la chair, entre absolument dans la
catégorie des publications posthumes. Les Dits et écrits n’y entrent pas, puisqu’on a retenu
uniquement les textes qui étaient parus ou en cours de parution au moment de sa mort ; les cours, eux,
avaient eu une forme de publicité orale. Les Aveux de la chair c’est un autre problème. Il se trouve que
l’ouvrage a suivi ce rythme ternaire que j’évoquais. Simplement, la dactylographe de Gallimard était
nouvelle, n’était pas familiarisée avec l’écriture de Foucault, et n’a pas pu taper clairement le
deuxième manuscrit [de travail]. Du coup, Foucault n’a pas pu reprendre un tapuscrit plein d’erreurs,
qu’il aurait fallu entièrement réécrire. Il a donc retravaillé sur le deuxième manuscrit, celui qu’il avait
confié à la dactylographe : on trouve un système à la Proust, sans les paperoles collées sur les côtés,
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mais avec un système de superposition qui fait que ce ne peut être que le travail de quelqu’un qui a
vraiment une habitude d’éditer des manuscrits qui dira vraiment quelle est la leçon finale. C’est assez
enchevêtré. À un moment, la famille de Michel Foucault avait déposé le dactylogramme à la
Bibliothèque du Saulchoirix ; j’étais contre le risque qu’on fasse une lecture aussi fautive. Je reste
fidèle à un principe que Dumézil m’avait confié : s’il n’y a pas de publication posthume, pourquoi les
thésards seraient-ils les seuls à connaître quelque chose ? Qu’est-ce que c’est que ce privilège donné
aux thésards ? J’ai adopté ce principe : c’est tout le monde ou personne. Avec les héritiers, nous
prendrons peut-être un jour une autre décision, mais pour l’instant c’est personne. J’ai n’ai pas du tout
le même rapport au temps que Foucault : il se moquait de la postérité, alors qu’au contraire, j’ai un
rapport plus anxieux ou fantasmé à l’égard de la postérité. Je me dis que tant qu’il y a de l’œuvre en
attente, c’est pas mal : ça fait vivre. Le devenir de ce texte, je l’ignore encore.
Devenirs de l’archive ?
Un site consacré à Foucault, http://www.michel-foucault-archives.org, est en cours de finition.
Ce site donnera accès à ’inventaire de l’IMEC, mais présentera aussi les archives d’un cours, en
offrant l’enregistrement, le manuscrit, et la transcription (conforme à l’édition assurée par Frédéric
Gros) de la première leçon de L’Herméneutique du Sujet, qui est un cours qui a beaucoup circulé, et a
été traduit dans de nombreux pays. Le site sera en cinq langues : français, anglais, espagnol, chinois et
arabe, qui correspondent à chaque fois à un lectorat important de Foucault. Ces archives seront
renouvelées périodiquement : il est en projet, par exemple, de mettre en ligne le travail de Philippe
Chevallier, au sein du groupe dirigé par Philippe Artières, autour des sources chrétiennes utilisées par
Foucault dans ses derniers cours. J’ai retrouvé par ailleurs un dossier bibliographique réalisé par
Foucault lui-même pour Les Mots et les choses, certainement non-exhaustif (Foucault manipulait
tellement d’archives...), mais qui se trouvera également sur le site. Il est question, enfin, de présenter
quelques-uns des clichés de Foucault pris par de nombreux photographes.
Pour les cours, une fois qu’ils seront tous publiés, il faudra bien que les lecteurs puissent
accéder aux manuscrits, pour vérifier l’édition (qui peut contenir quelques erreurs), mais aussi parce
qu’il reste des fragments manuscrits qu’on n’a pas reproduits. Nous n’avons probablement pas non
plus retrouvé toutes les sources ; Foucault avait en effet une manière de prendre des notes très
spéciale : une citation par page, qu’il rangeait thématiquement. Or, corréler ces références au livre
qu’on publie est pratiquement impossible. Les éditeurs du cours sont souvent obligés de retourner en
bibliothèque, à la recherche des références de Foucault, qu’on n’arrive pas à démêler par ses propres
documents. L’essentiel des archives que Foucault a laissé, ce sont ces citations, peut-être dix mille
feuilles au format A4. On n’a pas forcément idée de cet énorme travail d’archive de Foucault, mais il
lisait très vite, énormément : toute sa vie durant, Foucault a passé six heures par jour en bibliothèque,
et pas seulement à Paris.
Le fonds de l’IMEC propose peu de manuscrits. C’est un choix. J’étais en effet face au
problème de ce que voulait dire ce « pas de publication posthume » : est-ce que ça voulait dire ne pas
fouiller dans une intimité ? Foucault ne laissait pas d’archives privées. Éribon raconta dans une
première édition que Paul Veyne avait vu le journal intime de Foucault, ce qui m’avait fait beaucoup
rire : un tel journal n’existe pas. Il y a quelques cahiers de notes, tenus pendant un certain temps, qui
peuvent être intéressants, et que je déposerai. Je crois au temps, et le temps change la perception. La
pression, après la mort de Foucault, était très forte : François Wahl disait qu’il fallait se dépêcher pour
publier Les Aveux de la chair, qu’il y a un temps d’intérêt pour l’œuvre qui s’estompe ensuite. On
publie les inédits de Nietzsche, et ils sont toujours intéressants. Ce n’est plus le même public, c’est un
public raréfié, ça n’a pas le même effet. Je me rappelle que Claude Mauriac m’avait dit que je serais
très sollicité les dix premières années, parce que c’est pendant cette période-là qu’on fait les thèses.
Dix ans ? Ah non ! Ca commencera dans dix ans ! Dits et écrits auraient pu paraître plus tôt, mais j’ai
un peu poussé à ce qu’on retarde, pour qu’on le fasse pour les dix ans. Un peu symboliquement : l’idée
que ça n’avait que dix ans d’intérêt me paraissait une frustration insupportable. Il faut donc voir le
dépôt des archives comme quelque chose toujours en cours.
Bibliographie des œuvres de Foucault
L’ensemble des livres de Foucault est publié aux Éditions Gallimard, et, à l’exception de
L’Archéologie du savoir, est repris dans la collection de poche « Tel ».
Les Dits et écrits, édités par D. Defert et Fr. Ewald, avec la collaboration de J. Lagrange, sont
disponibles aujourd’hui dans la ré-édition Gallimard, « Quarto » (2000) : t. I (1954-1975), t. II (1976-
1988).
Les Cours au Collège de France sont en cours de publication aux éditions Gallimard/Seuil, « Hautes
Etudes », sous la direction de Fr. Ewald et A. Fontana :
• Il faut défendre la société (1975-1976), édité par M. Bertani et A. Fontana en 1997
• Les Anormaux (1974-1975), édité par V. Marchetti et A. Salomoni en 1999
• L’Herméneutique du sujet (1981-1982), édité par Fr. Gros en 2001
• Le Pouvoir psychiatrique (1973-1974), édité par J. Lagrange en 2003
• Sécurité, Territoire, Population (1977-1978) et Naissance de la biopolitique (1978-1979), édités
par M. Sennelart en 2004
Sont actuellement en préparation :
• Le Gouvernement des vivants (1979-1980), édité par M. Senellart
• Subjectivité et vérité (1982-1983) et Le Courage de la vérité (1983-1984), édités par Fr. Gros
• La Volonté de savoir (1970-1971), édité par D. Defert
Il existe deux cédés : le premier, édité par l’INA, Utopies et hétérotopies, reprend deux conférences
prononcées par Foucault en 1967 ; le second, co-édition Gallimard/France Culture, est une mise en
voix, par É. Ruff et P. Lamandé, des entretiens que Foucault réalisa avec Claude Bonnefoy en 1969.
Le fonds Foucault à l’IMEC
La richesse des documents aujourd’hui consultables à l’abbaye d’Ardenne révèle l’ampleur de
l’activité de Foucault. Le classement thématique du fonds mêle les supports : si l’on trouve quelques
feuillets dactylographes avec corrections manuscrites (comme pour le texte « Les Suivantes », paru
une première fois au Mercure de France en 1965 et repris en ouverture de Les Mots et les choses), ou
bien les notes autographes inédites de conférences à Berkeley durant l’automne 1980, ce sont les
nombreux enregistrements sonores des Cours au Collège, des conférences ou des entretiens qui
constituent le principal du dépôt. Si l’« œuvre » de Foucault existe bel et bien, l’hétérogénéité et la
diversité des archives signale que c’est au-delà de sa fixation par écrit, et indépendamment de ses
formes d’expression. L’importante documentation amassée dans le cadre du GIP (Groupe
d’Intervention sur les Prisons), si elle ne peut être entièrement ramenée à Foucault (en témoignent les
multiples notes ou rapports signés par Daniel Defert) indique que dans cette activité militante se joue
un des foyers vivants de la réflexion théorique et de l’élaboration pratique de la pensée du philosophe.
Ce sont ainsi le dit, l’écrit, mais aussi le fait qui sont réunis et offerts au travail du chercheur.
Le dépôt Foucault à la Bibliothèque nationale de France
Le manuscrit correspondant aux deuxième et troisième tomes d’Histoire de la sexualité (L’usage des
plaisirs et Le Souci de soi, parus chez Gallimard en 1984, disponibles aujourd’hui en collection
« Tel ») est conservé à la Bibliothèque nationale de France, ainsi que la première rédaction de
l’Archéologie du savoir (non encore reliée).
On trouve également à la Bibliothèque de la Sorbonne la thèse complémentaire de Foucault, inédite :
Kant, Anthropologie (introduction, traduction et notes, rapportée par J. Hyppolite).
i « Introduction générale aux Œuvres philosophiques complètes de F. Nietzsche », repris in Dits et écrits, t. I, p.
589-592 (références complètes en bibliographie).
ii Voir la présentation du texte, Dits et écrits, t. I, p. 817.
iii « Un nouveau journal ? », repris in Dits et écrits, t. I, p. 1287-1288.
iv « Convoqués à la P.J. », repris in Dits et écrits, t. I, p. 1313-1315.
v La première édition de 1994 (aux éditions Gallimard) est en quatre tomes ; la réédition en « Quarto » en 2000
regroupe l’ensemble des textes en deux volumes.
vi « A propos de l’enfermement pénitentiaire », entretien avec A. Krywin et R. Ringelheim, repris in Dits et
écrits, t. I, p. 1303-1313, p. 1303.
vii « Il y aura scandale, mais... », repris in : Dits et écrits, t. I, p. 942-943.
viii Voir G. Gutting, The Cambridge Companion to Foucault, Cambridge, New York, Cambridge University
Press, 2006.
ix Légalement, Daniel Defert détient les manuscrits, les droits et la propriété morale sont détenus par Denys
Foucault et Francine Fruchaud, frère et sœur du philosophe. Les décisions éditoriales sont prises par l’ensemble
des parties.
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