sabato 24 dicembre 2011

Pour en finir avec les mensonges. Un entretien avec Michel Foucault (Didier Eribon, Nouvel Observateur, 25 juin 1984)

Nouvel Observateur 2228 1985 

Un entretien avec Michel Foucault 

Pour en finir avec les mensonges 

Quelque temps avant sa mort, le 25 juin 1984, l'auteur d'Histoire de la folie faisait un portrait au vitriol de l'intelligentsia. Plus qu'un document: la voix d'un ami



Le Nouvel Observateur. - On déplore souvent aujourd'hui la sclérose du débat intellectuel en France. Qu'en pensez-vous?
Michel Foucault. - Je ne suis pas certain en effet que les conditions dans lesquelles se déroulent actuellement les débats dans la théorie et la politique soient très satisfaisantes. Je suis même sûr qu'elles pourraient être meilleures et il serait important qu'elles le soient. Car nous sommes à un moment où la vie et la vivacité du débat théorique et politique sont plus que jamais nécessaires. Car, contrairement à ce que l'on etend dire fréquemment, j'ai l'impression que les mouvements qui se produisent aujourd'hui en France dans un certain nombre de domaines sont extrêmement intéressants. Il y a une vie, une prolifération, une jeunesse tout à fait extraordinaires. C'est le cas en littérature. C'est le cas aussi dans le domaine de la recherche, que ce soit dans les sciences humaines ou dans la philosophie. Toute cette génération qui a aujourd'hui entre vingt et trente ans fait des choses remarquables, tant par le serieux, la qualité du travail que par sa nouveauté. Je crois que nous sommes enfin débarrassés des gens qui n'avaient que leur haine pur escalader leur avenir. Et il me paraît nécessaire que les chercheurs un peu plus âgés que les autres se préoccupent de ménager une place pur tous ces courants nouveaux puissent exister vraiment.

N.O. - Comment pensez-vous qu'on pourrait restaurer un débat intellectuel rigoureux ?
M.Foucault. - Il faut débattre sur les conditions du débat. C'est un fait: tout un travail sérieux qui s'accomplit dans les universités rencontre les plus grandes difficultés pour se faire éditer. Les éditeurs qui pouvaient assez facilement publier, voici quelques années encore, des ouvrages de recherche ne le peuvent plus aujourd'hui. C'est assez grave. Parce que les devant de la vitrine est occupé par des livres hâtifs qui de mensonges en pataquès racontent à peu près n'importe quoi sur l'histoire du monde depuis sa fondation ou reconstituent des histoires plus récents à coups de slogans et de phrases toutes faites. C'est assurément l'une des raisons pour lesquelles les vrais débats ne peuvent voir le jour.
Et puis, j'ajouterai que les échanges, les discussions, éventuellement le débat assez vif entre des idées différentes n'ont plus de lieu pour s'exprimer. Songez aux revues. Elles sont soit des revues de chapelles,soit le supports d'un éclecticisme fade. C'est la fonction même du travail critique qui a été oubliée. Dans les années cinquante, avec Blanchot, avec Barthes, la critique était un travail. Lire un livre, parler d'un livre, c'était un exercice auquel on se livrait en quelque sorte pour soi-même, pour son profit, pour se transformer soi-même. Parler bien d'un livre qu'on n'aimait pas ou essayer de parler avec suffisamment de distance d'un livre qu'on aimait un peu trop, tout cet effort faisait que d'écriture à écriture, de livre à livre, d'ouvrage à article, passait quelque chose. Ce que Blanchot et Barthes ont introduit dans la pensée française dans les années cinquante a été considérable. Or la critique a, me semble't'il, oubliée cette fonction pour se rabattre sur des fonctions politico-judiciaires: dénoncer l'ennemi politique, juger et condamner ou bien juger et tresser des couronnes. Ce sont là les fonctions les plus pauvres, les moins interéssantes qui soient. Je ne blâme personne. Je sais trop que les réactions des individus sont étroitement mêlées aux mécanismes des institutions pour me permettre de dire: voilà qui est responsable. Mais il est évident qu'il n'existe plus aujourd'hui aucun type de publication pour assumer une véritable fonction critique.


N.O. - Comment peut-on envisager un renouveau de cette fonction?
M.Foucault. - Plusieurs choses sont liées. Il faudrait repenser ce que peut être l'Université, ou du moins cette partie de l'Université que je connais le mieux et où l'on fait des lettres, des sciences humaines, de la philosophie, etc. Le travail qui y a été effectué au cours des vingt dernières années est tout à fait considérable. Il ne faut pas le laisser se stériliser. Deuxièmement, il faut repenser la question des éditions universitaires, des éditions de recherche et d'étude. Troisièmement, il faut oeuvrer à l'existence de lieux de publications, de revues, de brochures, etc.

N.O. - On parle beaucoup actuellement d'un repli de l'Université sur elle-même. Est-ce que vous ne craignez pas que l'on risque d'accentuer ce repli si l'on publie dans l'Université pour les universitaires?
M.Foucault. - Je ne souscris pas au mot de repli. Je crois que ce serait au contraire vivifier l'Université, et la formation universitaire, que de la mettre en communication avec du travail réel. L'Universit é ets encore trop engluée dans des exercices scolaires souvent ridicules ou désuets. Quand on voit ce qu'est le travail d'un candidat à l'agrégation de philosophie, c'est à pleurer. C'est du faux travail, absolument étranger à ce que sera, à ce que devrait être la recherche. Je connais un certain nombre d'étudiants qui pourraient parfaitement se former réellement à l'édition de textes, àa l'édition commmentéee, à la traduction de travaux étrangers ou même francais... C'est-à-dire faire du travail qui pourrait être utile à eux-mêmes et aux autres. Vous comprenez pourquoi je considère que rapatrier une partie des activités d'édition dans l'Université, ou faire en sorte que l'Universit é y participe directement, ce serait plutôt une densification du travail universitaire.

N.O. - Mais vous, qu'est-ce que vous pensez faire pour aller dans ce sens?
M.Foucault. - C'est très simple! Vous savez ce à quoi je rêve? ce serait crér une maison d'édition de recherche. Je suis éperdument en quête de ces possibilités de faire apparaître le travail dans son mouvement, dans sa forme problématique. Un lieu où la recherche pourrait se présenter dans son caractère hypothétique et provisoire.

N.O. - En commenecant cet entretien, vous avez parlé de débat théorique et politique. Est-ce que vous pensez que les conditions de l'un et de l'autre sont les mêmes?
M.Foucault. - Je vous répondrai que le paysage politique n'a été si profondément renouvelé depuis vingt ans que parce qu'il y a eu un travail intellectuel sur des problèmes qui n'apparaissaient pas comme politiques et dont l'analyse a montré à quel point ils étaient en connexion avec la poolitique. Un des résultats les plus féconds de ce travail a été justement que la fameuse catégorie du "politique" dont on nous avait rebattu les oreilles à l'Université a été balayée. Ce n'est pas à travers la définition du politique qu'ont pu être posés nombre de problèmes qui étaient des problèmes à la fois d'existence, d'institutions et de pensée. La mise en communication des mouvements de pensée, de l'analyse des institutions et de la problématisation de la vie quotidieenne, personnelle, individuelle, tout cela a permis que soit crevé l'écran que formaient des catégories comme "la politique", ou "le politique". C'est cette mise en communication qui donne de la force au mouvement qui fait changer les idées, les institutions et l'image que ll'on a de soi-même et des autres. Si on code à l'avance, si on détermine ce que'est la politique, on stérilise et la vie intellectuelle et le débat politique.

Propos recueillis par Didier Eribon 

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