mercoledì 21 dicembre 2011

Rouge: Entretien inédit entre Michel Foucault et quatre militants de la LCR, membres de la rubrique culturelle du journal quotidien Rouge (juillet 1977)






Entretien inédit entre Michel Foucault et quatre militants de la LCR, membres de la rubrique culturelle du journal quotidien Rouge (juillet 1977)

Présentation

Cet entretien a eu lieu dans les premiers jours du mois de juillet 1977. Animateurs de la rubrique culturelle du journal quotidien Rouge, nous avions le désir de rendre compte d’un livre de Michel Foucault paru en 1976, La Volonté de savoir, premier volume de son Histoire de la sexualité, et plus encore de pouvoir questionner son auteur sur son rapport au marxisme et au gauchisme. Michel Foucault avait paru un temps très lié à la fraction maoïste de l’extrême gauche et n’avait en tout cas jamais eu de contacts directs avec les trotskystes de la Ligue communiste révolutionnaire, lesquels avaient plutôt tendance à le renvoyer hors du champ légitime de la pensée révolutionnaire. Or il était pour nous, surtout depuis Surveiller et punir, un « éveilleur » qui avait toute sa place dans un quotidien comme Rouge, conviction qui n’était pas partagée par les responsables du journal. La Volonté de savoir représentait en outre une mise en question particulièrement de la doxa freudo-marxiste qui avait cours dans la Ligue, tout en posant de redoutables défis à la psychanalyse lacanienne qui nous passionnait alors. Nous étant présentés à Michel Foucault comme des militants de la Ligue et journalistes à Rouge, rien d’étonnant à ce qu’il nous ait considéré comme des représentants de la « ligne » dominante, en accord avec les positions défendues par Jean-Marie Brohm dans la revue qu’il animait à cette époque, Quel corps ?1, alors que nous étions, pour des raisons d’ailleurs différentes, des « marginaux » à l’intérieur de cette organisation. Notre activité dans la rubrique culturelle était d’ailleurs pour nous un moyen (qui s’est avéré bien illusoire) de transformer le rapport de la Ligue avec la recherche intellectuelle et esthétique du moment. C’est à l’occasion de la réunion mémorable au théâtre Récamier, le 21 juin 1977 que j’ai rencontré Michel Foucault. Comme on sait, cette réunion, organisée à l’occasion de la visite de Brejnev en France, fut l’occasion d’entendre Léonid Plioutch et d’autres dissidents. On en a fait l’une des grandes manifestations de la « nouvelle philosophie », alors même que s’y étaient retrouvés des intellectuels et des militants de presque toute la gauche anti-stalinienne.


C’est d’ailleurs en tant que militant de la Ligue que je m’y trouvais. Profitant d’un intermède, j’ai dit à Michel Foucault notre souhait d’un entretien pour le journal, ce qu’il accepta sur le champ, m’invitant à lui téléphoner rapidement afin que nous puissions mettre sur pied cette rencontre. Ce que je fis quelques jours plus tard. C’est ainsi que nous eûmes la chance de passer un long après-midi d’été à échanger de la façon la plus libre sur tous les sujets qui nous intéressaient. Il se trouve que cet entretien ne reçut pas de la part de la rédaction du quotidien un accueil enthousiaste, on en comprendra les raisons en le lisant, et qu’il est resté en grande partie inédit jusqu’à ce jour. J’ai transmis une copie de l’enregistrement à François Ewald à la fin des années 1980, si je me souviens bien. Certains chercheurs ont pu l’écouter et l’étudier dans les archives Foucault déposées à l’IMEC à Caen et régies par le Centre Michel Foucault, ou en entendre des extraits sur France culture. Plus curieusement, le collectif théâtral Foucault 71 en distribue depuis des années une version fidèle, mais très abrégée, aux spectateurs de ses représentations. La transcription de l’entretien qui suit est presque complète, il en manque toutefois la conclusion.


Christian Laval, juin 2011


Texte de l’entretien

-Rouge : Nous voudrions vous interroger, à propos de ce livre qui est une sorte de grande préface qui présente ce qui viendra ensuite, sur l’enquête historique dans ce livre et sur son lien à vos travaux précédents, dont l’Archéologie du savoir, sur son mode d’exposition, son fictionnement du travail historique. En même temps, nous voudrions poser le problème de la situation de l’intellectuel, sur ce que vous définissez comme « intellectuel spécifique », et partant de là, sur la représentation que vous vous faites de votre travail , de même que nous aimerions vous entendre sur ce qu’on pourrait appeler un « effet Foucault ».
-Michel Foucault : Bon. Vous avez soif, vous avez ...non ? Comme vous voulez hein. Non ? Quand on aura beaucoup parlé .

- Rouge : Quant vous aurez beaucoup parlé ! 





- Michel Foucault : On va peut-être parler de l’histoire là tout de suite ... Vaut mieux essayer... 
 J’essaierai de donner des réponses un peu courtes.

-Rouge : Oui, enfin, on n’a pas de questions calibrées, ce n’est pas vraiment une interview ...c’est plutôt voir l’orientation de votre travail ...
-Michel Foucault : La première chose qui me vient à l’esprit, la première chose qui me vient par association libre sur les questions que vous venez de me poser, si vous voulez, ce serait ceci : il y a actuellement une ligne de pente très nette parmi ceux qu’on peut appeler les intellectuels qui les conduit à du travail d’enquête historique...En gros, le grand moment de la théorie et de l’édification de la théorie qui se situe vers les années 1960-1968, ce moment-là est passé, au profit d’une recherche de savoir historique, d’histoire quasi-empirique. Je pense qu’il y a malgré tout un danger dans ce genre de recherches, principal danger qui n’est pas tant dans l’absence de théorie que dans une sorte de lyrisme implicite qui serait celui du naturalisme : c’est-à-dire « à quoi sert l’histoire, sinon à essayer de faire table rase du passé, en tout cas de découvrir les différentes sédimentations déposées par l’histoire pour que ré- affleure enfin le ruisseau clair et mélodieux (rires) que les tristesses du monde, l’exploitation capitaliste, les stalinismes divers ont pu faire taire. Détruisons les hôpitaux psychiatriques, pour que la voix pure de la folie se fasse entendre, abolissons les prisons pour que la grande révolte des délinquants puisse se faire jour, « à bas la répression sexuelle », pour que notre jolie sexualité printanière et fleurie puisse réapparaître. Je crois que dans le goût actuel pour les recherches historiques, je crois qu’il y a cette espèce de nostalgie, une nostalgie des retours et le postulat qu’au dessous de l’histoire, il y a la vie elle-même, qu’il faut déceler et desceller. (...)




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